Sénégal : les maisons bulles de Dakar, un héritage menacé
Construites dans les années 1950 par un architecte américain, ces habitations iconoclastes imaginées pour répondre à la démographie galopante de Dakar sont en voie de disparition.
C’est une partie de dôme qui surgit entre deux immeubles, une curiosité de béton camouflée par l’urbanisme galopant et souvent anarchique de la capitale. Fut un temps, les « maisons ballons » s’étiraient par rangées au milieu des plaines broussailleuses du quartier de Ouakam, offrant un paysage de science-fiction.
Ces bulles de béton, dont il resterait quelque 200 exemplaires à Dakar, sont nées de l’imagination de l’architecte Wallace Neff. Plus connu pour avoir dessiné les villas de célébrités de Hollywood, il met au point en 1946 un procédé inédit. Avec sa technique brevetée dite « Airform », le Californien veut créer un habitat moderne à bas coût, face à la pénurie de logements après la Seconde Guerre mondiale. Un socle de béton, un ballon gonflable sur lequel sont projetées plusieurs couches de béton et d’isolation, l’ensemble achevé en deux jours seulement.
Village ultra-moderne
« À Dakar, où les maisons ballons sont arrivées dans les années 1950, l’idée était de répondre à une démographie en pleine expansion. Il fallait absorber les populations venues des campagnes, mais aussi celles déplacées du centre-ville », résume Carole Diop, architecte et fondatrice de la revue de design et d’art contemporain Afrikadaa. Ainsi est né aux portes de la capitale un « village ultra-moderne » construit par l’administration française de l’AOF et destiné à la « population indigène », selon le compte rendu du journal télévisé français de l’époque.
Si l’on trouve aussi les coupoles de Wallace Neff au Portugal, en Angola et même en Turquie, l’architecte a fait de Dakar son plus grand laboratoire. En un temps record, 1 200 habitations voûtées sortent de terre (de 32 m2 à 150 m2), derrière lesquels certains voient une réinterprétation des cases peules, elle aussi rondes et basses.
LA PLUPART DES MAISONS ONT DISPARU, INTÉGRÉES À DES CONSTRUCTIONS NOUVELLES OU SIMPLEMENT RASÉES
« C’est une erreur, certains observateurs aiment rattacher les expérimentations architecturales que l’on trouve en Afrique à une inspiration traditionnelle. Mais, dans le cas des maisons ballons, l’inspiration vient d’ailleurs », corrige Carole Diop. En effet, à des milliers de kilomètres du Sénégal, c’est parmi les Inuits et les Amérindiens que l’architecte a trouvé l’inspiration. En témoigne son « village igloo », en Virginie, premier terrain d’expérimentation pour les maisons rondes de Wallace Neff en 1941.
Pression des promoteurs
Mal connues et mal conservées au Sénégal, ces bizarreries voûtées sont en voie de disparition, en partie du fait du manque d’intérêt des autorités pour leur histoire et leur conservation. « Aujourd’hui, la plupart des maisons ont disparu, intégrées à des constructions nouvelles ou simplement rasées, souvent pour des raisons économiques. Mais ces constructions font partie du patrimoine de Dakar, de son histoire urbanistique et architecturale et doivent faire l’objet d’un programme de conservation de l’État. Pour les classer, encore faut-il leur donner un sens », reconnaît l’architecte Annie Jouga, conseillère culturelle à la ville de Dakar.
À l’ouest de la péninsule, dans la Zone-B du Point-E, ou vers la « Cité ballon » de Ouakam, peu de propriétaires résistent à la pression des promoteurs immobiliers. « Aujourd’hui, si tu as une maison ballon, il vaut mieux la vendre, elle peut valoir jusqu’à 90 millions F CFA (137 500 euros) », avance M. Coulibaly, qui observe le quartier depuis la terrasse de son immeuble où se tenait auparavant la maison bulle dans laquelle il a grandi. M. Niane, lui, préfère conserver la sienne. « Je suis né ici, toute ma famille a vécu dans cette maison. À l’époque, c’était une maison de fonctionnaire, celle de mon père. Aujourd’hui, c’est toujours une maison de fonctionnaire, la mienne, et elle résiste contre vents et marées. »