Quand les oisillons prennent-ils leur envol ?
uel est l’heure idéale, quand on est un jeune oiseau, pour prendre son envol et quitter le nid ? En 1989, Jonas Lemel, alors à l’université de Göteborg, en Suède, suggéra que cette décision est un compromis entre deux stratégies possibles : partir tôt dans la journée, pour maximiser les chances de trouver un refuge avant la nuit, ou partir le plus tard possible, pour profiter de la nourriture apportée par les parents. Les oisillons étant difficiles à observer, l’importance relative de ces deux stratégies n’avait jamais été déterminée jusqu’à présent. Récemment, Christine Ribic, de l’Institut d’études géologiques des États-Unis, et ses collègues ont suivi à l’aide de caméras miniatures l’envol des oisillons depuis 200 nids de passereaux des prairies, aux États-Unis et au Canada. Des observations qui révèlent le facteur le plus influent sur l’heure du premier décollage…
S’intéressant à sept espèces d’oiseaux des prairies, les chercheurs ont mesuré l’heure à laquelle le premier oisillon quittait le nid et le temps écoulé entre le départ du premier et du dernier oisillon (la « durée d’envol de la nichée »). « Si le paramètre le plus influent est le risque représenté par les prédateurs, explique Romain Julliard, écologue au Muséum national d’histoire naturelle, à Paris, tous les oisillons devraient décoller à peu près au même moment, peu après le lever du soleil. La durée d’envol de la nichée devrait être faible, peu importe l’espèce considérée. Si en revanche, se nourrir le plus possible avant de quitter le nid est une stratégie plus avantageuse, on peut imaginer que la période d’envol de la nichée commencera plus tard dans la journée et sera plus étalée ». En effet, la compétition entre les oisillons pour la nourriture peut être très rude. Rester dans le nid le plus longtemps possible permet aux retardataires d’être mieux nourris à mesure que les autres oisillons prennent leur envol.
De fait, Christine Ribic et ses collègues se sont rendus compte que l’heure du premier envol était très variable d’une espèce à l’autre. Par exemple, le bruant des plaines, matinal, quitte le nid en moyenne trois heures et demi seulement après l’aube, tandis que le premier plectrophane à ventre noir s’élance trois heures plus tard. Si les chercheurs s’interrogent sur l’origine d’une telle disparité inter-espèces, ces données constituent un argument en faveur de la stratégie énergétique. Un résultat conforté également par le temps d’envol de la nichée qui est d’autant plus élevé que celle-ci est importante. Ainsi, 13 % des nids contenant deux oisillons ont un temps d’envol de plus d’un jour, contre 31% pour les nids comportant cinq oisillons.
« C’est un exemple classique de sélection naturelle. La compétition entre les oisillons a conduit à des envols décalés pour une même nichée », explique Romain Julliard. En conclusion, l’heure d’envol semble davantage dictée par la compétition qui s’exerce entre les oisillons d’une même nichée, que par le risque de rencontrer des prédateurs. Le chercheur du muséum s’interroge : « On a envie de savoir la suite. Quel oisillon a eu raison ? Le plus téméraire qui a choisi de s’envoler le premier ou le retardataire, mieux nourri ? »