Au Bénin, l’interruption volontaire de grossesse (IVG) a été légalisée depuis le 03 mars 2003 à travers la loi N 2003-04. Ainsi, l’avortement n’étant autorisé que lorsque la grossesse est la conséquence d’un viol ou d’une relation incestueuse ou encore en cas de risque pour la vie de la femme enceinte. Mais la nouvelle loi N 2021-12 adoptée le 21 octobre 2021, modifiant et complétant la loi N 2003-04 existante, est plus que jamais au cœur de la polémique et fait couler beaucoup d’encre et de salive.
En effet, selon la déclaration de presse du ministre de la santé Benjamin HOUNKPATIN suite au vote de la nouvelle loi, environ deux cent (200) femmes perdent la vie en une année au Bénin des suites de complications liées à l’avortement, souvent pratiqué dans la clandestinité. Cette loi, pour certains, est donc un cadre légal pour pratiquer l’IVG dans des conditions sécurisées. En Afrique, plus de 8 millions d’avortements auraient lieu chaque année, dont les trois quarts dans des conditions non sécurisées, selon une fiche d’information de l’ONG américaine « Population Reference Bureau ». Selon les données de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), les risques d’infection et de mortalité à la suite d’un avortement clandestin restent parmi les plus élevés au monde, et seulement 3 % se feraient dans des conditions médicalisées et sûres pour les femmes. Avec la nouvelle loi, on a le droit d’interrompre une grossesse jusqu’à douze semaines, soit trois mois, lorsqu’on le souhaite. Elle est néanmoins soumise à certaines conditions dont la suivante : lorsque la grossesse est susceptible d’aggraver ou occasionner une situation de détresse matérielle, éducationnelle, professionnelle ou morale.
Le Bénin vient alors de rejoindre le cercle très fermé des pays africains ayant franchi ce cap sensible de la légalisation de l’avortement : Tunisie, Afrique du Sud, Cap-Vert, Mozambique et Zambie, conformément à la convention de Maputo ratifiée par 52 pays.
Urgence ou encadrement juridique
Pour Ibrahim Ousmane, de l’Association béninoise pour la promotion de la famille (ABPF), une ONG qui a longtemps milité pour la modification de cette loi, « les femmes n’avaient pas accès à un avortement sécurisé quand bien même elles remplissaient toutes les conditions […] D’ailleurs, depuis que la loi existe, cela n’a pas eu d’influence sur la diminution du taux de décès maternel. Il est toujours très élevé, le nombre de décès lié à l’avortement est toujours resté stagnant ». Président des Jeunes Ambassadeurs pour la Santé de Reproduction et la Planification Familiale au Bénin (JA /SR/PF), Tansi koba félicite le gouvernement qui, par cette loi, dit-il, vient de restaurer la dignité de la femme en République du Bénin. « La loi doit être vue comme une bonne chose, car de nombreuses femmes perdent la vie du fait du caractère clandestin que revêt parfois l’acte d’avortement. Il était urgent de légaliser ce fait, afin de lui apporter un encadrement juridique adapté », ajoute-t-il. Hamnes, jeune ambassadrice pour la SR/PF, trouve que cette nouvelle loi sauve la vie de plusieurs femmes et filles surtout les mineures. Cela permettra à la femme et à la fille de choisir sainement et sans craindre pour sa vie si oui ou non elle veut garder cette grossesse.
La position tranchée des conservateurs
C’est à une véritable levée de boucliers que l’on assiste. Dans un pays encore ancré dans la tradition, cette décision est perçue comme une autorisation de tuer, une légalisation de la débauche. La Conférence épiscopale croit dur comme fer qu’il existe des « alternatives honnêtes et fiables pour remédier aux maux que l’on entend solutionner par la légalisation de l’avortement ». Professeur Francis Dossou, président de l’Ordre national des médecins du Bénin (ONMB), dit être gêné par sa conviction de chrétien et sachant que « la vie commence dès la conception et qu’il faut la protéger ». Il entend même ramer à contre-courant de la mise en œuvre de cette loi : « Je ferai tous les efforts nécessaires pour convaincre la femme enceinte de garder sa grossesse, mais c’est son corps et la loi l’en rend responsable. » dit-il. « On ne peut jamais autoriser un avortement. Alors on envoie les petites filles de 12-13 ans s’adonner au sexe librement, ce n’est pas bon. Nos filles là, c’est maintenant qu’elles vont s’adonner au sexe, parce qu’elles savent qu’une fois tombées enceintes, elles iront avorter librement. C’est officiel maintenant», crie Jean-Marie Houessou, activiste des droits humains, avant d’interpeller le président Patrice Talon : « Mon cher président Talon, ne promulguez jamais cette loi. Il faut jeter ça dans les caniveaux. »
Benjamin Hounkpatin, ministre de la santé n’a pas manqué de se justifier face à cette légalisation. A l’en croire, l’acte qui est posé doit être perçu comme une mesure de santé publique dont l’unique objectif est de sauver des vies humaines. Cette mesure vient soulager les peines de nombreuses femmes qui, face à la détresse d’une grossesse non désirée, se trouvent obligées de mettre leur vie en jeu par des pratiques d’interruption de grossesse dans des conditions non sécurisées. Il ajoute que « plusieurs familles continuent de pleurer la perte d’un enfant, d’une épouse, d’une mère partie tragiquement à la suite d’un avortement compliqué. Ces blessures sont irréparables. Pourtant, on peut bien éviter ce drame qui se joue sous nos yeux » a-t-il conclu. La bataille pour la vie se joue bien au-delà des frontières du Bénin ; c’est une cause mondiale. Mais dans ce bras de fer des pro et anti avortement, une interrogation retient l’attention : qui de la mère ou de l’enfant (embryon) aurait le plus le droit de vivre ?