Bénin | Entretien : « Ce que nous avons de particulier, de sacré, c’est le fâ », dixit Dah Azéhounguédé
Réalisation : Martial Olou
Le fâ est un art divinatoire bien ancré dans les traditions et cultures d’Afrique et particulièrement au Bénin ; Il est aujourd’hui même enseigné dans de grandes écoles et universités. Il édifie sur le passé, le présent et le futur. Mais beaucoup s’interrogent sur son utilité dans l’existence de l’homme. Pour en savoir plus, Africa World Radio a interrogé Dah Azéhounguédé, chef de culte vodoun et prêtre du fâ.
AWR : Qu’est-ce que le fâ selon vous ?
Dah Azéhounguédé : Un homme qui atteint 18 ans doit prendre le fâ, pour savoir comment se comporter. Le fâ explique comment on doit vivre. Quand on est initié, on est épargné des difficultés existentielles. Dans les temps anciens, avant que les ancêtres ne s’installent sur une terre, ils consultaient le fâ.
Comment devient-on prêtre du fâ ?
Le fâ en réalité, c’est comme le palmier à huile. Auparavant, quand ce dernier pousse, il a tous les signes. Quand il mûrit, on ne laisse pas son produit tomber. Il faut tout faire pour cueillir les noix sans attendre qu’elles ne tombent. Mais la veille, il y avait des dispositions qu’on prenait obligatoirement. Il y a naturellement des feuilles qu’on apprête. On vient par la suite abattre le palmier à huile et on lui sacrifie deux coqs. A la veille du 7e jour, tous ceux qui souhaitent cueillir des noix remplissent les formalités nécessaires et ensemble, le travail est fait. Après avoir cueilli ces noix, on met tout dans une petite calebasse. On fait le mélange avec des feuilles et l’eau.
Des jours après, on jette le déchet qui s’y retrouve. La noix de palme est limée contre le mur et elle devient complétement lisse. Elle devient le « fâkouin ». C’est ça qu’on utilise pour la consultation du fâ. Si par exemple tu as à 18 ans et tu souhaites être initié, on va chez le prêtre Bokonon et ce dernier te fait la liste des besoins pour les rituels. Il y a par exemple Atakoun, vi, linlinkoun, kplakpla, fakadaho, kpolika, danhougnin, danvognin, dèkan, lawéwé etc. A tout ceci, il faut ajouter des coqs et des moutons. Tu subis les rituels nécessaires, on te conduit ensuite chez Légba, Bokonon, les jumeaux, Sakpata, Yêbiosso, Dan, Tohossou, etc pour d’autres rituels. Après tout ceci, on te rase complètement la tête et tu retournes en forêt pour le reste.
Malheureusement de nos jours, des gens laissent tout ce dont je vous parle et vont acheter le Fâkouin au marché Dantopka et ne font même plus les cérémonies nécessaires. On ne prend pas le fâ pour devenir malade.
Quel nom donne-t-on au chapelet qu’on manipule souvent à la consultation du fâ ?
On l’appelle chapelet divinatoire, en langue fon « Agoumanga » ou « Kplè ». Du temps de nos ancêtres, on manipulait la noix elle-même. C’est pour que la consultation soit rapide qu’on a introduit le « Kplè ». Si tu vas consulter le fâ à 20 personnes par exemple par jour avec la noix, tu auras mal à la main. C’est pour cela qu’on a trouvé cette solution pour faciliter la tâche aux Bokonons.
Quand le chapelet est ouvert ou fermé, qu’est-ce que cela révèle ?
Quand tout est ouvert par exemple, c’est Gbémèdji. Mais quand c’est renversé, c’est le Yèkoumèdji. Il y a 256 signes pour la géomancie, le tout rassemblé donne 16 « dou ».
Qu’est-ce qu’on peut comprendre par Yèkoumèdji ?
Si une femme a une plaie aux pieds et on lui trouve le Yèkoumèdji, elle deviendra sorcière, c’est sans commentaire. Si on te trouve par exemple le Yèkoumèdji, il n’y aura pas d’entente entre ton père et toi. Si par hasard tu es le 3e enfant, tu n’auras jamais la paix avec ton géniteur.
Quels sont les autres signes du fâ ?
Nous ne pouvons pas expliquer ce qu’est le fâ en une seule journée. Je préfère qu’on s’arrête à ce niveau pour le moment.
En combien de jour peut-on prendre le fâ ?
Si quelqu’un vient vers moi par exemple pour prendre le fâ, on doit travailler pendant trois nuits, 72h au minimum. Il y en a qui le font en deux heures de temps.
Qu’avez-vous à dire aux bokonons qui sont souvent au cœur des consultations du fâ ?
Je demande aux Bokonons de faire du sérieux pour qu’on nous considère davantage. Ce que nous avons de particulier, de sacré ici, c’est le fâ. Au cours de ses batailles, le roi Béhanzin a utilisé le fâ. C’est ce qui lui a permis d’être un héros. Il n’a jamais livré une bataille sans le fâ. Tous les rois du Danxomè ont mené leurs luttes avec le fâ. Les premiers conseillers des anciens rois étaient des Bokonons. Le matin, il consulte le fâ pour voir si le roi s’est bien réveillé, si le royaume se porte bien. Cela permet de faire des projections pour l’avenir.
Les Présidents que nous avons de nos jours n’ont plus de conseillers Bokonons. Il ne suffit pas de réunir en un an quelques Bokonons pour dire qu’on consulte le fâ. Tous les jours, on doit consulter le fâ, parce qu’il prévoit et prévient.
