Musique – Youssoupha : « L'Afrique de demain va produire ses propres sillons »
Youssoupha : Je me suis beaucoup inspiré de mes photos d’enfance. J’ai regardé les photos d’avant et me suis dit que, sur les Polaroïd, c’était plus spontané. Tout n’était pas parfait et on ne pouvait pas se reprendre comme on le fait aujourd’hui. Quand on veut faire un instantané, on s’y reprend autant de fois qu’on veut. Là, c’était une fois, les photos avaient des défauts, mais on vivait avec ce charme-là. Et moi, dans ma nouvelle manière de faire des morceaux, j’accepte les défauts. Avant, je cherchais tout le temps la perfection, à structurer. J’étais vraiment dans le contrôle. Dans cet album, j’ai nettement perdu en contrôle et ai voulu faire comme avec les Polaroïd de notre enfance. J’ai un peu moins de certitudes qu’avant et j’ai retrouvé un peu de naïveté, etc. Je me remets beaucoup en question dans cet album. J’y suis allé avec beaucoup de convictions, mais moins de certitudes.
Est-ce qu’on peut voir dans ce que vous faites des éléments de jam session ?
J’ai du mal à me mettre dans une case en particulier. C’est vrai que les gens ont parfois des retours sur mon écriture, sur mon côté où je joue beaucoup avec les musiciens ou sur mes prestations scéniques… Plus ça va, plus je prends ces remarques comme des compliments. Alors, je refuse de me mettre dans une case de peur d’être enfermé. Or, justement, avec cet album, ma démarche a été de m’affranchir.
Quel a été le déclic pour vous décider à retourner en Afrique ?
Il y a quelques années, ma femme et moi voulions bouger dans notre vie. Pour ma part, je ne savais pas où. Mais la première raison qui explique ce choix, c’est que c’est un choix par amour. Ma femme a eu l’opportunité de pouvoir aller y travailler. Cela fait longtemps qu’elle me suit dans ma vie d’artiste. Il était temps pour moi de la suivre aussi. Et puis, moi, j’ai grandi en RD Congo, et elle au Tchad. On souhaitait aussi que nos enfants aient aussi ce parcours de vie là. Je dois préciser que je n’ai pas fait ce choix par charité pour dire « je retourne aider mes petits frères africains ». Loin de moi cette pensée. Déjà, ils ne sont pas petits et, ensuite, ils se débrouillent très bien. Quand je suis arrivé à Abidjan, j’ai eu un accueil des plus chaleureux et dignes. Vivre en Afrique aujourd’hui, je ne dis pas que le contexte n’est pas particulier, mais, en tout cas, ce n’est pas un risque, encore moins une régression.
Est-ce que votre regard sur l’Afrique maintenant que vous y vivez ?
Même s’il y a certains travers qui ont la vie dure, j’observe, et mon épouse avec moi, que les nouvelles générations sont beaucoup plus décomplexées dans leur rapport à l’Occident, notamment la France. Ma génération, et même celle de nos parents, avait de gros complexes par rapport à comment on se comporte, les attitudes, les rêves, les ambitions, la culture. Et ce, par rapport à tout ce qui venait d’Europe. Aujourd’hui, il y a quelque chose de plus détaché. Ça montre que l’Afrique de demain va produire ses propres sillons, des sillons qui lui ressemblent et qui ne sont pas juste importés de cultures supposées supérieures.
Voulez dire que l’Afrique sera plus africaine ? Et, si oui, comment ?
L’Afrique sera plus africaine en se regardant elle-même et en acceptant que ses identités puissent être des richesses. Effectivement, on s’est mis dans des dispositions où on présente les cultures africaines comme inférieures. Mais c’est une vision normale pour toute personne qui vient de l’extérieur. Moi, venant de Kinshasa, je trouve qu’une personne du Massachusetts est exotique. En fait, tout ça est relatif. C’est vrai que l’Afrique de la réalité va mal, mais, en vrai, l’Afrique qu’on se fait dans sa tête va encore plus mal. En fait, il faut projeter une Afrique plus positive. C’est comme cela que la réalité va aussi pouvoir bouger. Si jamais, effectivement, on voit le plafond de verre, on le fabrique aussi un peu. Il faut pouvoir accepter que nos dispositions, nos identités, nos usages, nos coutumes et nos dispositions naturelles soient les meilleurs pour nous.
Quels sont vos projets en cours ?
Cet album était devenu une priorité pour moi. Maintenant, j’ai une longue tournée qui m’attend l’année prochaine. Parallèment, je dois aussi travailler avec mon label Bomayé Musik. Il marche très fort avec des artistes comme Keblack, Naza, Hiro… et moi-même. J’ai pas mal d’initiatives culturelles en développement entre ici et l’Afrique. Ça va être très palpitant. Je vais m’y donner à fond, car, de toute façon, j’aurai la mort pour me reposer.